Petite sémantique d'économie
Autant vous le dire tout de suite : je n'ai qu'une formation de base en économie. Je suis quasi-ignorant. D’ailleurs, je ne devrais plus parler d’ « économie », mais plutôt de « science économique ».
Un détail. Simple évolution sémantique me direz-vous. Si seulement... Que sous-tend le concept de « science » aujourd'hui ? Par définition, est
scientifique ce qui repose sur une méthode qui a une validité universelle et, si on extrapole un peu,
qui doit déboucher sur une vérité incontestable et définitive. Nous arrivons ainsi à une évidence : la science est devenue un totalitarisme !
Un totalitarisme qui fonctionne d’autant mieux qu’il repose sur une ignorance
généralisée et conditionnée par sa volonté de s'émanciper du monde tangible. A l'abri, dans son univers parfaitement rationnel, inintelligible au plus grand nombre, la science sait qu'on n'a plus d'autre choix que de se soumettre à sa loi, docilement. Edmond
Husserl soulignait déjà ce phénomène en 1936 dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie
transcendantale, de même qu'Hannah Arendt dans sa Crise de la culture et, plus récemment, François Lurça dans
son essai De la science à
l’ignorance.
Cependant, loin
l’idée, dans cet article, de contester les avancées de la science. Il est
indéniable qu’elles confèrent une source de puissance pour qui les maîtrise.
Cependant, il en va tout autrement de leurs fondements idéologiques et, par
extension, méthodologiques.
Pour illustrer
cela, je vais reprendre une anecdote édifiante concernant Albert Einstein. En
1919, on lui apprit que les résultats d’une observation astronomique confirmaient
sa théorie de la relativité générale. On lui demanda alors ce qu’il aurait
pensé si les mesures des astronomes l’avaient contredit. Einstein répondit
froidement : « J’en aurais été bien fâché pour le cher Bon Dieu : la théorie
est juste. »
Ce qu’on pourrait
prendre pour de l’arrogance est, en réalité, la thèse dominante au sein de la communauté des
scientifiques et des philosophes des sciences, comme Bachelard et ses successeurs. L’expérience
n’a plus rien à nous apprendre.
C’est ce mode de
pensée qui explique qu’on assiste depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à
une véritable explosion des théories supposément scientifiques appliquées à tous les domaines de la connaissance, au premier rang desquels se trouve l'économie. Le fait que ces théories se
contre disent les unes les autres importe peu, puisqu'elles concordent toutes sur un point :
l’économie répond à des règles intelligibles et parfaitement
rationnelles. Bref, l’économie est devenue une science au même titre que
les mathématiques. Si les résultats constatés ne sont pas ceux escomptés, tant
pis ! La théorie est juste. Il faut juste augmenter le coefficient
d’incertitude (comprendre des comportements irrationnels) et on retombera sur
nos pieds.
Il est alors
amusant de constater à quel point la théorie a influé sur le champ sémantique
de l’économie (la vraie, pas la science). Désormais, les indicateurs de contrôle des résultats ne
sont plus exprimés en termes d’« objectifs », mais en termes de « prévisions ».
Évolution majeure, car, si un objectif est un but à atteindre, pas forcément
rationnel, une prévision est ce qui arrive lorsqu’on suit la théorie à la
lettre. Comme la théorie ne peut anticiper les évènements
imprévisibles (ou plutôt, qu’on ne peut pas encore prévoir), on se permet des
prévisions hautes et basses (des morceaux de scotch) qui se révèlent, au bout
du compte, fausses toutes les deux.
Certains diront qu’Einstein et Bachelard ont raison, la théorie est juste, la science économique a raison, simplement, elle n’a pas encore trouvé la bonne équation. Peut-être. Mais en attendant, tout le monde reste les yeux rivés sur les prévisions, appliquant la théorie, sans rien y comprendre, aucunement concerné. Alors l’économie se casse la gueule sans que la science puisse y faire grand-chose.
Kleio
A voir : http://www.autisme-economie.org/
Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, Presse Universitaire de France, 1934.
Hannah Arendt, La crise de la Culture, Gallimard, 1972.
Edmond Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Gallimard, 2004.
François Lurça, De la science à l’ignorance, Ed. du Rocher, Paris, 2001.