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La France, ou l'art de sortir de l'Histoire
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29 juillet 2010

Translatio Imperii

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En arpentant les rayons d'une librairie, je suis tombé, par hasard, sur le court essai de Peter Sloterdijk, Si l’Europe s’éveille. A ma grande surprise, et ma grande joie, j’y ai retrouvé certains des thèmes abordés dans mon article Mélancolie française et son remède. Cependant, malgré des points de rencontres, nous divergeons sur l'essentiel, à savoir l'interprétation et l'importance à attribuer au concept de « translatio imperii ».


En le traduisant par « transfert de l’Empire », Peter Sloterdijk prétend affirmer que les Etats issus du démantèlement de l’Empire romain ont pu forger l'unité et l'identité européenne grâce à leur volonté commune - mais chacun à sa manière - de recréer l’Empire. En claire, pour Peter Sloterdijk, c’est le « translatio imperii » qui a permis l’ « européanisation de l’Europe ».


On remarquera que cette thèse est très proche de celle présenté par Eric Zemmour dans Mélancolie française.


En ce qui me concerne, je serais plus prudent. Historien de formation, j’ai appris à me méfier de la sur-interprétation. Pour moi, le « translatio imperii » est une notion  de la pensée médiévale très orientée politiquement. Chaque royaume se l'appropriait pour mieux se légitimer. Par conséquent, elle présente une valeur explicative de l’histoire de l’Europe très réduite, voir nulle.

Certes, depuis sa chute, l’Empire romain n’a cessé de fasciner, mais uniquement comme une référence dont on se sert ponctuellement, lorsqu’on a besoin de justifier quelque chose de nouveau. Je ne crois pas un instant que la volonté de recréer l’Empire romain ait servi de ligne directrice à la formation de l’identité européenne. En revanche, je suis persuadé que l’unité européenne est due à une continuité de l’Empire romain par le biais de l’Eglise, qui a fait perdurer son héritage contre l'affermissement grandissant des Etats. Car, contrairement à ce que laisse penser Solterdijk, les Etats n’ont eu de cesse d’affermir leurs frontières et leur identité spécifique contre l’unité. Il fallait être le plus différent possible pour avoir des ennemis. Et ce n’est pas un hasard si la fin de la puissance européenne survient avec l’anéantissement du 3ème Reich, un monstre païen.


C’est pour toutes ces raisons que je préfère traduire « translatio imperii » par « transfert du pouvoir », ou « transfert du commandement ». Pour moi, ce n’est qu’un concept philosophique ; une utopie historique qui annonce le transfert volontaire du pouvoir d’un Etat vers son héritier. Une manière d'expliquer a posteriori le processus dialectique de l'Histoire, sans tomber dans le travers déterministe.


Cependant, malgré cette divergence d’opinion, je me retrouve tout à fait dans la suite du développement de Peter Sloderdijk. Il est incontestable qu’après 1945, on a assisté au transfert de la puissance européenne vers ses « libérateurs », les Etats-Unis et l’URSS, puis, en 1990, de l’URSS vers les seuls Etats-Unis. Depuis 1945, l’Europe n’est plus le centre du monde. Anéantis, dégoûtée d’elle-même, elle a perdu toute volonté de grandeur, ainsi que toute capacité de décision. Sa construction bureaucratique témoigne de ce désengagement historique.


Son seul moyen de revenir au centre du monde serait de se recréer dans une nouvelle vision d’elle-même. Reprendre la voie de la grandeur, hors du modèle impérialiste.


Kleio


Références bibliographiques :

Peter Sloterdijk, Si l'Europe s'éveille, Mille et Une Nuit, Paris, 2003.

Jacques Le Goff, La civilisation de l'Occident médiéval, Flammarion, 1982.

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