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La France, ou l'art de sortir de l'Histoire
La France, ou l'art de sortir de l'Histoire
La France, ou l'art de sortir de l'Histoire
12 mai 2010

La France, ou le déclin de la démocratie

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La France n’est plus une démocratie. Peu le conteste, mais tous, ou presque,  refusent d'assumer leur part de responsabilité dans ce naufrage. On préfèrent incriminer  la force insurmontable de l'Histoire, les règles déloyales d'un monde devenu trop grand et la destruction de la culture individuelle par la culture de masse.


Je récuse ce raccourci simpliste.

La mondialisation et le libre-échange ont des répercutions sur la vie économique du pays, c’est certain, mais j’aime à penser, comme Raymond Aron, que le sens de l’Histoire, qui nous entraîne, nous laisse, néanmoins , à tout moment la liberté d’agir - ou non - à condition de faire l’effort de nous poser trois questions :


- Que puis-je savoir de manière valable sur la société dans laquelle je vie, qui me fait ce que je suis, dont je ne peux pas me détacher, mais dont je veux me détacher pour comprendre objectivement ?

- Que dois-je faire dans une société que je connais mal, face à un avenir que, comme tout le monde, je ne peux pas prévoir ?

- Que puis-je espérer, non pas dans l’autre monde, mais dans ce monde, de la société qui sera celle de mon avenir, du moins de l’avenir de mes enfants ?


Mais la vérité, c’est que les français ont renoncé à se poser des questions. Ils ont cessé de penser et sont devenus incapables d’agir.

Cette perte totale de volonté, les Français la compensent par une course absurde vers la satisfaction immédiate : le pouvoir d’achat. Aux hommes politiques d’achever la démocratie en privilégiant la victoire aux prochaines élections sur le bien commun. Désormais, la France n’est plus qu’une foule mécontente.

Seule une conception simpliste de la chose politique peut encore désigner la France contemporaine comme une démocratie.

 

Les Grecs de l’antiquité considéraient six formes de constitutions qui se succédaient d’une manière cyclique : la royauté, autorité du plus juste, qui dégénérait en autocratie, pouvoir transmis héréditairement, qui amenait une aristocratie, assemblée des plus méritants, qui dégénérait en oligarchie, assemblée de privilégiés, qui amenait une démocratie, gouvernement par l’ensemble des citoyens, qui dégénérait en ochlocratie, dictature de la populace, puis le cycle recommençait ad vitam aeternam. Ce cycle était la progression naturelle des régimes politiques, le modèle parfait. C'est de cette manière que devait évoluer les choses si aucune ingérence extérieure n'influait directement sur le processus.


Si les Grecs voyaient en la royauté, l’aristocratie et la démocratie trois régimes "purs," ils se refusaient d’en juger un meilleur que les deux autres. Chacun d’entre eux était le plus légitime à un moment du développement de la cité. C’est dans cette conception de l’Histoire que Polybe pouvait affirmer que « de même que pour le fer, la rouille, et pour le bois, les vers et les tarets sont des fléaux consubstantiels, sous l’action desquels ces matières, fussent-elles protégées contre tous les agents destructeurs externes, subissent une dégradation dont la cause se trouve en elles, tout de même les constitutions, de par leur nature, sont minées chacune par un mal congénital dont elles ne peuvent se défaire. »


Aujourd’hui, on ne distingue plus que « démocratie » et « totalitarisme », soit les bons et les méchants. Signe d’un appauvrissement de la chose politique depuis l’antiquité. Pourtant, parmi les régimes autoproclamés « démocratiques », aucun n'échappe à une forme de totalitarisme : celui de la masse. Les programmes politiques sont élaborés comme des plans marketing : on fait des études de marché, on examine les panels, on lance des sondages, ...


Polybe expliquait que « dès lors que, poussée par cette soif insensée d’honneurs, on a rendu le peuple vénal et avide de largesse, c’en est fait de la démocratie. Celle-ci se transforme en un régime dans lequel on gouverne par la force et les voies de fait. Habitués désormais à dévorer le bien d’autrui et à compter sur le voisin pour le faire vivre, les petites gens se trouvent un chef en la personne de tel homme hardi et entreprenant, auquel son dénuement interdit d’exercer les charges publiques, et c’est le gouvernement par la force qui s’installe. Le peuple ameuté massacre, exile, décrète le partage des terres, cela jusqu’au moment où, s’étant ravalé au rang de bête féroce, il se trouve à nouveau placé sous l’autorité d’un maître qui gouverne en despote. »


Pour être plus claire, pour moi, la France a dépassé depuis longtemps la frontière qui sépare la démocratie de l’ochlocratie. Désormais, ce n’est plus le bien commun qui gouverne, mais l’opinion publique.

Et je terminerai mon article par cette citation du même Polybe, qui explicite parfaitement mon sentiment :

 « un régime dans lequel la masse tout entière des citoyens a tout pouvoir pour faire tout ce qu’il lui plaît et pour imposer à tous ses désirs ne saurait passer pour une démocratie ».

 

Kleio

Références bibliographiques :

Université d'Oxford, Dictionnaire de l'antiquité, sous la dir. de M. C. Howatson, Robert Laffont, Paris, 2007.
Raymond Aron, Leçons sur l'histoire, Edition de Fallois, Paris, 1989.
Polybe, Histoire, Livre VI, trad. Denis Roussel, ed. Quarto Gallimard, Paris, 2003, pp. 549-559.

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Commentaires
K
Je ne pense pas que les médias soient au service du système économique... ou du moins pas plus que n'importe lequel d'entre nous. <br /> On ne peut pas accuser un miroir de refléter notre laideur.<br /> Le triste état de nos médias n'est qu'une conséquence de notre bêtise. <br /> Les médias ne donnent à voir que ce qu'on leurs demande. Tout comme les politiques. <br /> C'est bien là tout le paradoxe de la démocratie : pour être élu ou pour vendre des journaux, il faut toucher un maximum de personne et donc trouver un consensus. Or, pour aboutir à un consensus, il faut renoncer à avoir des idées. Et voilà comment, en essayant de satisfaire tout le monde, on arrive à une dictature de l'opinion et à une disparition de la notion de bien commun.
L
Sur le fond, je suis d'accord avec vous, on a la possiblité de se révolter.<br /> Cependant, il y a un facteur que vous oubliez, c'est la puissance des médias qui s'avèrent de puissantes machines à décerveler au service d'un système économique. Les grecs ne connaissaient pas ce phénomène.
K
Les trois questions que se posent Raymond Aron sont, en fait, dérivées des trois questions kantiennes : Que puis-je savoir ?, Que dois-je faire ?, Qu'ai-je le droit d'espérer ?
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