DesLivresEtNous !
Le livre numérique… Tout le monde en parle… Tout le monde fantasme dessus… Mais qu’en est-il réellement ?
Je ne vais pas rentrer dans le débat « Google », tout a déjà été dit sur le sujet.
Je me contenterai de présenter ici le véritable
enjeu que représente le livre numérique pour l’économie éditoriale française.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’argent. Les éditeurs ont bien compris que le numérique leurs offrait une opportunité de se goinfrer des marges extraordinaires et, par conséquent, de redynamiser un secteur qui semble être arrivé à maturité en France (progression des ventes en valeur comprise entre +1,8% et -1% par an depuis 2005), c’est-à-dire à une stagnation du chiffre d’affaires (autour de 5 milliards d’euros).
L’enjeu est de taille : avec le numérique, plus besoin d’intermédiaires. Fini les imprimeurs, les libraires ou les distributeurs. La part des éditeurs sur le prix de vente d'un livre passerait ainsi de 15% à, potentiellement, 72%, voir bien plus.
Je sais bien que les maisons d’édition sont des entreprises comme les autres, avec les mêmes exigences et les mêmes responsabilités. Par conséquent, je ne me permettrai jamais de critiquer leur volonté d’améliorer leur rentabilité. Par contre, ce que je condamne, c’est leur malhonnêteté intellectuelle.
En effet, les groupes d’édition veulent nous faire croire que le numérique représente une avancée incontournable et incontestable pour le livre. Leurs arguments ? En vrac : écologie, durabilité, accessibilité, portabilité, confort, et surtout coût…
Faux ! Archi faux !
L’écologie ? Vous voulez me faire croire que les
productions de tablettes numériques et de liseuses sont moins nocives pour la
planète que l’industrie du papier ? Vous croyez qu’elles se recyclent
bien ?
Durabilité ? Un ordinateur aussi est durable, pourtant on le change tous les deux ans, avec toutes les pertes de fichiers que cela représente. De plus, on sait à présent que les fichiers vieillissent mal, et disparaissent avec le temps, sans compter l’évolution ininterrompue des formats et des supports qui font qu’au bout de trois ans, on ne peut même plus lire les fichiers les plus anciens. Qui a encore un lecteur de disquettes aujourd’hui ? De plus en plus d’ordinateur n’ont même plus de lecteur de DVD. Rien ne se démode plus vite qu’un support supposément durable.
Accessibilité ? Sans doute le meilleur argument. A mon sens le seul valable. Mais si loin d'être réalisé ! Qui peut croire que les ouvrages les plus rares seront laissés en libre accès à tout le monde, alors même que les bibliothèques dépensent des fortunes pour les acheter et garder une certaine notoriété aux yeux de la communauté scientifique internationale ?
Portabilité ? Certes, mais la portabilité ne veut pas forcément dire pratique ! A mon sens, il s’agit d’un non argument. Le gain de place ne résout pas tous les problèmes. Comment fera-t-on lorsqu’on aura besoin de travailler sur plusieurs livres en même temps ? On achètera plusieurs liseuses ? Qui osera amener son IPad sur la plage ?
Confort ? Personnellement, l’uniformité de tous les livres au format d’un même écran me déplaît profondément. Mais ce n’est que mon avis. Après, il est vrai que les derniers écrans ne fatiguent plus les yeux… Mais les livres non plus.
Coût ? Et bien, faisons un rapide calcul :
Pour le livre numérique :
- La liseuse la moins chère coûte environ 200€, et je pense qu’on peut lui attribuer raisonnablement une durée de vie de 3 ans.
- Ajoutons à cela l’achat de 25 livres numériques par ans (hypothèse très honnête, lorsqu’on sait que seul 6% de Français achète 25 livres ou plus par an) à 9,99 €
- Résultat : 200€ + (25 livres x 9,99€ x 3ans) = 949,25€
Pour le livre papier :
- Le prix d’achat moyen d’un livre était d’environ 11,60€ en 2007
- À raison de 30 livres achetés par ans durant 3 ans
- Résultat : 11,60€ x 25 livres x 3ans = 870€
Par contre, ce qui est vrai c’est qu’à l’heure actuelle, un éditeur qui vend un livre papier à 11,60 € ne touche que 1,74€, alors que sur un livre numérique à 9,99€ il pourrait toucher jusqu’à 7,19€… CQFD
Et pourtant, malgré cette propagande douteuse, le numérique ne perce toujours pas en France. Tout sauf une surprise, puisque même sur le marché Japonais, pourtant très ouvert sur les nouvelles technologies, on constate que le livre numérique stagne et à même tendance à reculer… L’effet pub passé, l’offre à du mal à répondre aux promesses.
Encore plus révélateur de ce malaise de l’édition française, l’enquête menée par Ipsos, publiée en mars 2010, sur le public du livre numérique en France. Les résultats étant loin de montrer un véritable engouement du public, le rapport essaie de cacher au mieux les résultats en jouant sur la présentation des graphiques. On assiste alors à des choses proprement hallucinantes !
Par exemple, alors qu’on apprend dès le début que seulement 47% des Français ont entendu parler du livre numérique et que seulement 5% l’ont déjà essayé, on nous présente le tableau suivant :
Sans les
chiffres, en se référant uniquement à la présentation, on a effectivement
l’impression que le numérique à un grand avenir… et pourtant, lorsqu’on y rajoute
les chiffres...
... on constate qu'ils ne concordent pas du tout avec le choix de la présentation.
Alors, c’est bien beau de nous faire croire que l’avenir du livre c’est le numérique, mais faut pas non plus nous prendre pour des cons !
Le numérique c’est, tout au plus, l’avenir de l’édition, aucunement celui du livre !
Kleio
Références bibliographiques :
Etudes de marchés disponibles sur Internet (INSEE, ...)
Pour l'enquête IPSOS mentionnée dans l'article :
Bruno Schmutz, Les publics du livre numérique, Ipsos MediaCt, 29 mars 2010
Ouvrages de base :
Hervé Gaymard, Pour le livre, rapport du l'économie du livre et son avenir, Gallimard, Paris, 2009
Bertrand Legendre, Les métiers de l'édition, Cercle de la librairie, Paris, 2007